Dubaï la nuit

Télé-Hypnose : une mode préjudiciable

Entrée au restaurant… en fanfare !

Mettre les pieds dans le plat.

Dès la première fois en plus.

J’adore !

S’il est évident que d’aucuns risquent de s’étouffer en lisant ma prose, j’espère cependant en faire réfléchir beaucoup sur une pratique – dans tous les sens du terme d’ailleurs – très en vogue.

Pour les personnes revenant tout juste d’une décennie passée à cultiver des pommes de terre et pêcher la langouste sur Tristan da Cunha, une séance de télé-hypnose, autrement appelée hypnose – thérapeutique s’entend – en visio, en ligne ou à distance, c’est lorsque le consultant et son thérapeute communiquent via leur ordinateur, tablette ou smartphone, chacun dans son petit coin de paradis – ou d’enfer –.

Alors, sur le papier, ça paraît génial, des avantages tout plein – évidemment largement mis en avant par les thérapeutes usagers du système –, mais au-delà des apparences, qu’en est-il, concrètement ?

Quel appétissant menu que voilà !

Afin de partir sur de bonnes bases, commençons justement par exposer lesdits avantages – très alléchants il faut bien le reconnaître – pour le consultant :

  • Disparition des barrières géographiques 
    • Possibilité d’être suivi par un thérapeute partout dans le monde
    • Plus de contrainte d’habiter dans une « zone blanche » 
    • Suivi des séances à domicile, au boulot, en vacances, etc.
  • Accessibilité pour les personnes ne pouvant se déplacer 
    • Ex. personnes handicapées, femmes enceintes, agoraphobes, malades contagieux, … 
  • Organisation du temps hyper-flexible 
    • Économie des temps de déplacement
    • Pas de problème de stationnement
  • Confort idéal dans un environnement sécurisant
    • Tranquillement installé dans son cocon
    • Aucun problème lié au climat ou à la météo pour aller au rdv

Pour les thérapeutes, c’est aussi pas mal du tout :

  • Disparition des barrières géographiques
    • Possibilité de travailler de partout dans le monde
    • Large ouverture du réservoir de clientèle
  • Potentiellement aucun de frais de local
    • Dans le cas d’un 100% distanciel, un bureau et une chaise suffisent
  • Paiement avant la séance
    • Hyper pratique pour se prémunir financièrement contre les annulations de dernière minute et les inévitables « lapins »
  • Pas de contact avec le consultant
    • Plus de risques d’agressions
    • Pour certaines thérapeutes, plus de peur d’être seules en présence d’inconnus (parfois « relous »)

Il y a certainement d’autres avantages, souvent indirects, mais ceux-là sont les principaux que l’on peut retrouver sur la plupart des sites et brochures de thérapeutes « adeptes » de la visio. Et ils sont indéniables, aucun doute là-dessus !

Pourtant…

Pourtant, quand on les examine attentivement – motivations et enjeux – et que l’on s’intéresse à ce qui constitue l’essence même d’une thérapie, on perçoit très rapidement que quelque chose cloche. Le fait-maison ne serait-il pas au fond un trompeur surgelé réchauffé avec des ingrédients à l’origine et la saveur plus que douteuses ?

Goûtons-voir ça !

Une entrée tiédasse nommée alliance thérapeutique

Quand on parle d’hypnothérapie, est-il possible d’occulter l’importance déterminante de l’alliance thérapeutique entre le consultant et son thérapeute ? La connexion humaine est au cœur de nos pratiques, et elle se tisse évidemment plus intensément lorsque les deux acteurs sont physiquement présents dans le même espace, reliés l’un à l’autre sur tous les canaux, notamment visuel, auditif et kinesthésique – même l’olfactif peut avoir son importance –.

Ainsi, être à côté – physiquement parlant – l’un de l’autre permet au thérapeute de percevoir tous ces détails si subtils mais ô combien importants que sont la tension musculaire, le langage corporel ou les micro-expressions. Or ces signaux non verbaux, bien que parfois à peine perceptibles, jouent un rôle crucial dans la compréhension de l’état émotionnel et mental du patient. La communication verbale, para-verbale et non-verbale sont des concepts vraiment essentiels que nul thérapeute ne saurait ignorer !

La perte d’information est encore plus grande lorsqu’on prend en considération les limitations intrinsèques à une session en distanciel : la perception y est restreinte au champ (en deux dimensions) de la caméra du consultant et à la captation des sons par son microphone. A moins d’instaurer des règles hyper strictes, on n’a bien souvent en visuel qu’un plan rapproché – voire plan poitrine – dans leur dénomination cinématographique et une qualité sonore plus ou moins médiocre. Dans ces conditions, ne serait-ce que vouloir utiliser un signaling digne de ce nom ou entendre des paroles murmurées par le consultant en transe profonde relève de l’utopie pure et simple.

Par ailleurs, la communication en face à face renforce significativement la confiance entre le thérapeute et le consultant, base essentielle pour le bon déroulement de toute thérapie. Et, lorsqu’un consultant se sent en confiance et en sécurité, il devient beaucoup plus disposé à se détendre et à se livrer, éléments essentiels pour entrer dans un état de transe hypnotique adapté au travail à réaliser. Or, en visio, cette sensation de confort est nettement limitée par les considérations techniques dont nous venons de parler, surtout pour les personnes qui ont déjà du mal à s’ouvrir ou se détendre devant un étranger…

Parmi les autres différences non négligeables entre le présentiel et le distanciel, évoquons à présent l’immersion sensorielle, totalement absente en visioconférence, qui pourtant concourt à une bonne alliance thérapeutique.

En effet, dans le cabinet de l’hypnothérapeute, l’environnement est soigneusement calibré pour mettre le consultant dans les meilleures dispositions possibles. Cela inclut l’aménagement de la pièce, la température, les senteurs, la lumière, le fauteuil et même les objets qui peuvent favoriser la relaxation. En ligne, le consultant reste la plupart du temps dans son propre espace habituel, moins ou peu adapté à la détente, voire potentiellement pathogène, avec les inévitables distractions externes pouvant perturber l’expérience.

Le thérapeute en présentiel peut intervenir directement pour ajuster l’environnement en fonction des besoins immédiats du consultant, comme atténuer l’éclairage ou ajuster la température. Cette flexibilité est absente en ligne, où les distractions ou le bruit de fond sont difficiles – pour ne pas dire impossibles – à contrôler, notamment lorsque le consultant est déjà immergé dans une transe hypnotique.

De plus, dans l’environnement « cocon » du cabinet entièrement conçu pour limiter les distractions, la concentration du consultant est bien plus soutenue. En ligne, même dans des conditions idéales, il est plus facile pour lui de se laisser distraire par des notifications, des bruits ambiants ou d’autres éléments visuels, réduisant ainsi l’efficacité de la séance.

Vous pensez que c’est tout – et déjà peu appétissant – ? Mauvaise nouvelle, le repas ne fait que commencer ! Après cette entrée fadasse, voici maintenant le plat de résistance, toujours plus décevant…

La sécurité émotionnelle et son accompagnement implicatif

Les séances d’hypnothérapie abordent souvent des sujets profondément personnels et émotionnels, pouvant susciter des réactions intenses, quand ce ne sont pas de violentes et imprévisibles abréactions. Très fréquente avec certains troubles – deuil prolongé, oppositionnel avec provocation, stress post-traumatique, etc. –, la libération émotionnelle peut aussi survenir en toute circonstance en fonction du travail effectué – par exemple une exposition sous hypnose à une situation phobogène – et des fenêtres de tolérance fluctuantes des individus.

En présentiel, le thérapeute est préparé et apte – du moins en théorie – à gérer ces évènements. Physiquement présent, son rôle est de soutenir et rassurer le consultant tout en le ramenant immédiatement dans sa fenêtre de tolérance. En cas de besoin, il peut aussi recourir à des techniques d’ancrage physique, comme un contact léger et rassurant sur l’épaule ou la main – toujours en respectant évidemment les limites et le consentement de la personne –, ou mental en induisant un retour à la fameuse « safe place ».

Les crises d’angoisse ou les réactions émotionnelles sont de fait beaucoup plus facilement apaisées par une proximité physique que par des mots échangés à travers un écran. Quant aux gestes, ils sont totalement impossibles en ligne, où le consultant peut se sentir isolé dans sa détresse émotionnelle. En outre, la seule présence « en chair et en os » du thérapeute offre en elle-même une sécurité supplémentaire implicite au consultant, en lui garantissant de ne jamais se sentir seul ou abandonné.

A propos, puisque nous en sommes à parler du cadre personnel et émotif,  savez-vous quel est le point commun – crucial – entre le fait de payer son thérapeute et de participer à une séance en présentiel ? L’implication. Payer, pour le consultant, le place dans une dynamique de sérieux et de motivation à s’investir dans le processus thérapeutique, le responsabilisant de fait par rapport au travail qui est fait.

Contrairement au fait de payer qui est commun à toutes les séances d’hypnothérapie, participer à une séance d’hypnothérapie en présentiel est propre à celle-ci. Cela implique de faire l’effort de prendre un rendez-vous, de se déplacer jusqu’au cabinet et de se préparer mentalement à cette rencontre physique. Ce processus fait partie intégrante de l’engagement thérapeutique : le consultant se conditionne à « entrer » dans un espace exclusivement dédié à son mieux-être, à vivre intensément un moment unique qui n’appartient qu’à lui.

Cet acte de préparation psychologique joue donc un rôle puissant dans la disposition mentale du consultant : en effectuant l’acte de se déplacer, de sortir de sa zone de confort – quand ce n’est pas celle d’inconfort –, il laisse derrière lui son quotidien, ses habitudes et ses certitudes pour se focaliser entièrement sur sa séance et ses objectifs.

A l’inverse, en visio, le consultant sera plus enclin à basculer entre différentes activités, être perturbé par ses proches ou son environnement, et il n’aura plus cette impression de vivre un moment unique et dédié, amoindrissant l’impact de la séance, limitant la transition mentale nécessaire pour entrer en hypnose et diminuant fortement la puissance thérapeutique.

D’ailleurs, sur les transitions, rappelons qu’elles se doivent d’être en tous points confortables et progressives, aussi bien en début, en fin ou pendant la séance – quand on fait des « fractionnements » par exemple –. En présentiel, le thérapeute peut ainsi et par exemple aider le consultant à revenir doucement à un état de pleine conscience et veiller à ce qu’il soit prêt à reprendre ses activités. De plus, en fin de séance, ces transitions sont d’autant plus importantes qu’elles permettent au consultant d’intégrer les bienfaits de la séance sans se sentir brusquement interrompu.

Tout ceci est évidemment bien moins évident et efficace en ligne, car le consultant est souvent confronté à son environnement habituel dès la fin de la séance, ce qui peut amener jusqu’à induire un choc émotionnel qu’il sera extrêmement complexe de gérer à distance par le thérapeute – cf. ce que j’évoquais précédemment concernant la sécurité émotionnelle –.

Sans aller jusqu’à ces cas qui, bien qu’assez rares, ne sont ni inexistants ni à négliger, les consultants terminent fréquemment la séance en ligne pour se retrouver immédiatement rappelés à leur quotidien, sans avoir le temps d’assimiler, de digérer l’expérience. D’autant que même le trajet retour depuis le cabinet jusqu’à leur domicile s’inscrit dans le cadre de ce travail primordial de « retraitement » mnésique et psychique de tout ce qui a été dit, entendu, imaginé, … pendant la séance.

Un dessert de technique aléatoire

Pour que la « magie » puisse opérer, une séance d’hypnothérapie en visio requiert un dispositif électronique (ordinateur, tablette ou smartphone) adéquat en termes de puissance et de connectivité (webcam, micro), un logiciel de visioconférence et une connexion Internet assez rapide et, surtout, stable, le tout correctement configuré. Que l’un ou l’autre de ces éléments soit défaillant, qu’une mise à jour dérègle un paramètre ou qu’un grain de sable perturbe la connexion, et forcément d’un coup ça le fait moins bien – ou pas du tout –, générant une source de stress additionnelle malvenue, perturbant voire rendant impossible la réalisation de la séance prévue et attendue.

Imaginons, par exemple, une séance au cours de laquelle le thérapeute plonge son consultant dans une transe plus ou moins profonde et lui fait revivre un évènement anxiogène ou phobogène. Malheureusement, à un moment « critique », alors qu’il s’apprête à le « ramener » dans sa fenêtre de tolérance avant de poursuivre ce travail d’exposition graduée que les praticiens en TCC connaissent bien, catastrophe, la connexion s’interrompt ! Et voilà le consultant qui continue de revivre à 1000% sa peur jusqu’à ce qu’il sorte de lui-même de sa transe – ce qui peut prendre un certain temps et peut s’avérer dans ces circonstances particulièrement brutal – et de l’autre côté le thérapeute incapable de retourner dans la séance puisque le consultant ne pourra même pas accepter la communication entrante quand bien même cela serait de nouveau possible. Ce risque est à lui seul inacceptable !

Précisons que, même avec une bonne maîtrise des outils informatiques, certains consultants ne se sentent pas complètement à l’aise avec les technologies et peuvent éprouver un stress supplémentaire lié à la gestion de la visioconférence, ce qui diminue chez eux l’efficacité de la thérapie. Du reste, même une coupure momentanée de la connexion peut interrompre le processus d’induction ou de travail hypnotique, obligeant le thérapeute à recommencer et rendant le consultant moins réceptif.

La simplicité d’une rencontre en face à face supprime totalement ces préoccupations technologiques, thérapeute et consultant pouvant se concentrer pleinement sur le travail thérapeutique, garantissant un accompagnement fluide et naturel. De plus, l’absence de l’écran entre les deux participants renforce l’aspect humain et intime de la séance.

La chère addition d’un décevant repas

L’hypnothérapie est une pratique qui repose avant tout sur la relation de confiance entre le consultant et son thérapeute, la compréhension subtile d’un langage multi-canaux / multi-niveaux et l’immersion sensorielle optimale, autant d’éléments qui sont délicats voire impossibles à mettre correctement en œuvre à distance.

Pour le consultant en attente de changements profonds, l’accompagnement en présentiel offre sans hésitation un cadre optimal pour l’introspection et la guérison. La présence physique du thérapeute est un élément de sécurité et de confort inégalable, permettant de s’immerger pleinement dans le processus thérapeutique. En hypnothérapie, où l’écoute, la sensibilité et la capacité à répondre aux besoins émotionnels jouent un rôle crucial, le présentiel reste la méthode privilégiée pour des résultats durables et profonds.

Alors, bien que la télé-hypnose puisse être une alternative dans certains cas précis –  par exemple en raison de contraintes géographiques momentanées ou de restrictions sanitaires – ou qu’elle puisse très ponctuellement s’insérer dans une thérapie en cabinet – urgence psychologique, maladie contagieuse, etc. –, son usage exclusif n’a, en termes de bénéfices pour le consultant, que très peu d’intérêt pour énormément d’inconvénients.

Alors, pourquoi cet engouement ? Il y a évidemment plusieurs facteurs et la crise sanitaire du COVID n’est pas l’un des moindres : avec les confinements, elle a nécessité des adaptations afin permettre à l’économie de continuer de tourner, aux soins d’être réalisés, etc. Le télétravail et les téléconsultations ont ainsi explosé, ouvrant de nouvelles perspectives dans tous les domaines… et entraînant un certain nombre de mauvaises habitudes ! Après tout, pourquoi aller à Rome quand Rome peut venir à vous ?

C’est donc principalement sur ce double facteur d’habitude et de paresse que la mode de l’hypnose en visio a réellement pris son essor – cela existait certes avant, mais restait assez confidentiel –, non seulement en répondant à cette nouvelle demande mais plus encore en la stimulant, avec des discours marketing bien ficelés du style « c’est 100% pareil qu’en cabinet ».

Parce que si le consultant reste sur sa faim, le thérapeute, lui, empoche le jackpot ! Car il est facile de remarquer que, dans une très large proportion, ils appliquent un prix de séance identique à celui en cabinet – quand encore ils proposent ce type de prestation et ne consultent pas à 100% en visio –, ou a des prix similaires à des confrères exerçant en cabinet.

Avec des charges en moins – surtout quand on n’a pas de cabinet ou qu’on ne le loue qu’en fonction des jours d’occupation –, le distanciel permet d’augmenter significativement ses marges ! D’autant plus qu’avec une localisation géographique qui n’est plus un problème, le thérapeute ratisse très large côté clientèle, surtout s’il est bilingue, remplissant ainsi aisément son agenda. Du chalutage de fond en bonne et due forme couplé à des filets maillants dérivants pour maximiser les gains ! A quand les premiers télé-hypnothérapeutes live in Dubaï ?

Au final, vous l’aurez compris, la télé-hypnose, c’est un très gros risque pour le consultant de ne pas atteindre le résultat souhaité, de rester sur un sentiment d’échec et d’avoir perdu son argent. Avec pour corollaire une probable perte de confiance dans l’hypnothérapie qui est pourtant une technique puissante et efficace.

Je n’ignore évidemment pas – et n’occulte pas plus – le fait qu’il existe des études ayant mis en évidence l’équivalence globale des résultats entre présentiel et distanciel d’un point de vue d’efficacité thérapeutique, notamment en psychothérapie. Pour ce qui est de l’hypnothérapie, je n’en ai pas trouvé – d’académiques s’entend –. Ces résultats doivent cependant être nuancés par les grandes disparités en fonction des pathologies ciblées, les inévitables contraintes techniques dont j’ai parlé, ainsi qu’en raison de différences significatives dans la pérennité des effets de la thérapie – souvent moindre en distanciel qu’en présentiel –. A cela, je rajoute mes éléments que j’ai abordés dans cet article, et notamment l’importance capitale de conserver une relation humaine de proximité.

L’Homme est un animal social… et sociable, ne l’oublions jamais !

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