Suicide

Hypnothérapie et gestion des idées suicidaires :
Comprendre, Évaluer et Intervenir en toute sécurité

Pour ce deuxième article de mon blog, j’ai choisi d’aborder un sujet ô combien sensible mais qui me paraît essentiel : les idéations suicidaires. Plus précisément, je souhaite explorer une question qui, tôt ou tard, traverse l’esprit de tout hypnothérapeute, même s’il n’a jamais été confronté à une telle situation ou s’il ne s’est pas déjà senti démuni face à elle : que faire lorsque l’on se retrouve face à un patient en détresse suicidaire ? Sujet très délicat certes, mais crucial pour comprendre nos responsabilités et nos limites en tant qu’accompagnants, et que je vais m’efforcer d’aborder le plus clairement et didactiquement possible.

Tout d’abord, quelques chiffres qui donnent le vertige et lèvent le voile sur ce fléau dans toute sa noirceur :

  • Plus de 720.000 personnes se suicident dans le monde chaque année ;
  • En 2022, la France a enregistré environ 9 200 décès par suicide, soit un taux de 14,2 pour 100.000 habitants (ce taux est supérieur à la moyenne européenne, qui est de 10,2 pour 100.000 habitants) ;
  • Le suicide représente environ 25 décès par jour en France ;
  • Il est l’une des principales causes de mortalité évitable, particulièrement chez les jeunes et les personnes âgées ;
  • Il est la deuxième cause de mortalité chez les 15-24 ans en France, juste après les accidents de la route ;
  • Chaque année, plus de 400 adolescents décèdent par suicide ;
  • En 2022, 24% des lycéens ont déclaré avoir eu des pensées suicidaires au cours des 12 derniers mois, avec une prévalence plus élevée chez les filles (31%) que chez les garçons (17%) ;
  • Les hospitalisations pour gestes auto-infligés chez les moins de 25 ans ont augmenté, passant d’environ 14.000 entre 2012 et 2019 à plus de 20.000 sur la période 2021-2023.

De fait, les idées suicidaires touchent une proportion conséquente de personnes dans le monde, et leur prise en charge est un défi de taille pour les professionnels de la santé mentale, y compris les hypnothérapeutes. Souvent multifactorielles, les idées suicidaires sont généralement liées à des troubles psychiatriques, des traumatismes ou des périodes de crise1. Elles ne se manifestent pas toujours de façon directe, et le thérapeute doit impérativement adopter une approche nuancée, adéquate et pragmatique.

L’hypnothérapie, reconnue pour son efficacité dans la gestion de l’anxiété, des traumatismes et des émotions intenses, peut également jouer un rôle dans l’accompagnement des personnes en détresse profonde. Cependant, lorsqu’il s’agit de consultants en proie à des pensées suicidaires, cette méthode thérapeutique nécessite une prudence accrue. En tant qu’hypnothérapeute, il est crucial d’en comprendre les mécanismes, d’agir avec discernement tout autant que de respecter les cadres légaux et déontologiques.

Cet article explore les aspects fondamentaux de la prise en charge des consultants ayant des idées suicidaires en hypnothérapie : quelles sont les précautions à prendre, les actions à réaliser pendant les séances et les limites juridiques ; avec quels professionnels de la santé mentale collaborer ; et, surtout, vers quels services d’urgence se tourner pour assurer leur sécurité ?

1. Comprendre les idées suicidaires et leur processus

1.1. Les étapes du processus suicidaire

Le suicide peut être à la fois un acte impulsif2 et non-impulsif, selon les individus et les contextes :

  • Acte impulsif : certains suicides résultent d’une réaction soudaine à une émotion intense ou à un événement perçu comme insurmontable (colère, désespoir). Dans ces cas, l’acte est souvent rapide, sans planification préalable, et motivé par une détresse immédiate ;
  • Acte non-impulsif : pour d’autres, le suicide est un acte planifié, réfléchi sur une période plus longue. Il peut découler d’une accumulation de souffrances psychiques ou de troubles psychiatriques, avec parfois des signes annonciateurs (préparatifs, messages d’adieu).

Environ un tiers des suicides sont considérés comme impulsifs, soulignant l’importance des interventions rapides pour prévenir les actes irréversibles dans ces moments de crise.

Quand il n’est pas impulsif, le suicide est le résultat d’un processus progressif qui se décompose en plusieurs étapes :

  1. La souffrance psychologique intense :
    Cette phase initiale est marquée par un sentiment de mal-être profond, endogène ou provoqué par un événement traumatisant – perte, échec, isolement –. La personne se sent dépassée, sans perspective d’amélioration ;
  2. Les idées suicidaires passives :
    À ce stade, la mort est perçue comme une échappatoire possible. Les pensées sont souvent vagues et non accompagnées d’une intention concrète (ex. « j’aimerais avoir un accident ou m’endormir et ne pas me réveiller, car la vie ne vaut pas la peine et cela résoudrait tous les problèmes ») ;
  3. Les idées suicidaires actives :
    Ici, la personne commence à envisager sérieusement le suicide. Des moyens possibles peuvent émerger, même si l’intention de passage à l’acte reste floue ;
  4. La planification :
    Cette phase est critique. La personne élabore un plan détaillé – comment, où, quand – et peut accumuler les moyens nécessaires ;
  5. La crise suicidaire imminente :
    Maintenant, le risque est maximal. L’intention de passage à l’acte est forte, et les moyens sont disponibles.

Chaque étape nécessite une réponse rapide et adaptée pour prévenir l’escalade et garantir à tout prix la sécurité de la personne.

1.2. Les motivations profondes des idées suicidaires

Les idées suicidaires traduisent souvent une souffrance insupportable, une douleur psychologique telle qu’elle submerge littéralement les capacités d’adaptation de l’individu. La mort est ainsi perçue comme la seule issue possible pour faire taire la souffrance. Pour beaucoup, ce n’est pas tant un désir de mourir qu’une stratégie trouvée pour faire cesser cette douleur émotionnelle insoutenable.

En tant qu’hypnothérapeute, comprendre cette dynamique est essentiel : cela permet de voir au-delà des mots et de percevoir les besoins vitaux non exprimés : soutien, compréhension et espoir renouvelé.

1.3. Facteurs de risque et facteurs de protection

Les idées suicidaires ne surviennent pas en vase clos. Elles sont influencées par une combinaison de facteurs de risque et de protection3 :

Facteurs de risque :

  • Antécédents personnels4 ou familiaux de suicide ;
  • Troubles psychiatriques5 : dépression, bipolarité, schizophrénie, TOC, … ;
  • Événements traumatisants : violences, abus, deuil ;
  • Isolement social et familial.

Facteurs de protection :

  • Soutien social – famille, amis, communauté – ;
  • Accès aux soins psychologiques et médicaux ;
  • Résilience personnelle et stratégies d’adaptation émotionnelle.

L’hypnothérapie peut jouer un rôle en renforçant les facteurs de protection, par exemple en aidant à reconstruire la confiance en soi ou en développant des mécanismes d’auto-apaisement et de distanciation.

2. Le cadre éthique et légal en France : obligations et pratiques

2.1. Secret professionnel et exceptions en cas de danger

En France, les hypnothérapeutes doivent respecter la confidentialité des échanges en séance. Ce secret professionnel, régi par l’article 226-13 du Code pénal, est un des piliers de la relation thérapeutique – tout comme devraient l’être d’ailleurs les chartes éthiques et déontologiques6 –. Cependant, en cas de danger imminent pour la vie du consultant ou d’autrui, l’article 226-14 du Code pénal autorise la levée du secret pour signaler la situation aux autorités compétentes.

2.2. Obligation de signalement

Si un hypnothérapeute identifie un danger imminent, il est légalement et éthiquement tenu de signaler la situation, même sans le consentement du consultant. Cela peut inclure d’appeler les services d’urgence – 15, 18, 112 – et de contacter le 3114 ou un proche de confiance avec l’accord du consultant, si possible.

2.3. Contrainte et liberté : le dilemme de la gestion d’une crise suicidaire

Lorsqu’un consultant en crise suicidaire manifeste une intention de quitter la séance malgré un danger imminent, il est essentiel de rappeler que, dans un cadre démocratique et respectueux des libertés individuelles, nul ne peut être physiquement contraint contre sa volonté sans un dispositif légal strict. Cette garantie est au cœur des principes éthiques et humanistes qui régissent notre société. Elle assure le respect de l’autonomie et de la dignité de chaque individu, même dans des moments de profonde détresse.

Cependant, face à un risque vital, l’éthique de la responsabilité impose au professionnel d’agir pour protéger la vie du consultant, même si cela nécessite de dépasser temporairement son consentement. C’est dans ces situations graves qu’intervient l’hospitalisation sans consentement, prévue par l’Article L3212-1 du Code de la santé publique. Cette procédure encadre strictement la privation de liberté pour des motifs thérapeutiques, en exigeant :

  1. Un certificat médical justifiant le besoin de soins immédiats en raison d’un trouble mental rendant la personne dangereuse pour elle-même ou pour autrui ;
  2. Une décision préfectorale validant cette mesure après évaluation des preuves fournies.

Cette procédure est une alternative de dernier recours, utilisée uniquement lorsque toutes les autres options ont échoué, et ne peut être donc déclenchée que par un médecin ou un psychiatre. Elle reflète une tension philosophique entre la sauvegarde de la liberté individuelle et la nécessité de protéger la vie humaine dans un contexte de vulnérabilité extrême.

Avant d’envisager une hospitalisation sans consentement, différentes alternatives non coercitives doivent évidemment être explorées, telles que la création d’une alliance thérapeutique – dialogue empathique et ouvert, hospitalisation en tant qu’étape temporaire visant à retrouver un équilibre émotionnel, etc. –, la mobilisation de proches et de personnes de confiance, le contact de dispositifs d’urgence adaptés – 3114, équipes mobiles de psychiatrie –, etc.

Au-delà des aspects juridiques, chaque intervention face à une crise suicidaire doit être guidée par une approche humaniste centrée sur la préservation de la dignité et des droits du consultant. L’hypnothérapeute ou le professionnel impliqué doit reconnaître que, même dans sa souffrance, la personne conserve sa capacité à être écoutée, comprise et respectée. Plutôt que d’imposer une solution, il s’agit de coconstruire un chemin de sortie de crise, où le consultant est partie prenante de son propre sauvetage.

En définitive, l’hospitalisation sans consentement, bien qu’indispensable dans certains cas, doit être perçue comme un outil exceptionnel et temporaire, utilisé uniquement lorsque la vie est en jeu et que toutes les autres voies ont été épuisées. Elle invite les professionnels à équilibrer la protection de la vie avec le respect des libertés individuelles, tout en réfléchissant à des moyens plus inclusifs et coopératifs pour accompagner les personnes en détresse.

3. Évaluer le risque suicidaire : outils et méthodes

L’évaluation du risque suicidaire est une étape cruciale dans la prise en charge des personnes en détresse psychologique. Elle permet de déterminer la gravité de la situation et d’adopter une réponse adaptée, qu’il s’agisse d’une prise en charge thérapeutique ou d’une intervention d’urgence. Une évaluation rigoureuse repose à la fois sur des entretiens bienveillants, des outils pratiques comme l’URD – Urgence, Risque, Dangerosité – et des échelles validées scientifiquement.

3.1. De l’urgence vitale à l’exercice illégal de la médecine…

L’hypnothérapeute, sauf s’il est également médecin, psychologue ou autre professionnel de santé dûment formé et habilité, n’est pas considéré comme un professionnel de santé ou une profession réglementée en santé en France. En vertu du Code de la santé publique – Article L4161-1 –, il lui est interdit de poser un diagnostic, de prescrire des traitements ou de réaliser des actes réservés aux professions médicales. Toute démarche allant au-delà de ses compétences pourrait donc être qualifiée d’exercice illégal de la médecine, une infraction passible de sanctions pénales. Ainsi, l’hypnothérapeute doit strictement se limiter à son rôle d’accompagnement et d’écoute, en veillant à respecter les frontières légales de sa pratique.

Or cette limite est d’une extrême finesse : l’hypnothérapeute ne doit ni minimiser ni exagérer le risque suicidaire, car dans les deux cas, les conséquences peuvent être très graves, tant pour le consultant que pour le thérapeute, et parfois même pour des tiers. Pour illustrer notre propos, étudions deux scénarios où le thérapeute mésestime l’état psychologique de son consultant :

Premier scénario : l’hypnothérapeute sous-estime le risque suicidaire et le consultant passe à l’acte. Les conséquences sont toujours dramatiques : perte de vie ou séquelles graves et irréversibles pour le consultant, choc et souffrance pour ses proches, et un poids moral écrasant pour le thérapeute. Par ailleurs, ce dernier pourrait être poursuivi pour non-assistance à personne en danger – article 223-6 du Code pénal – si son manquement à évaluer ou à signaler le risque était prouvé. Bien qu’il ne soit pas un professionnel de santé habilité, il reste malgré tout tenu à une obligation de vigilance et d’orientation en cas de danger manifeste.

Second scénario : l’hypnothérapeute surestime le risque suicidaire alors qu’il n’y a aucun danger immédiat. Une telle exagération peut avoir des répercussions importantes : le consultant, se sentant incompris ou stigmatisé, pourrait perdre confiance dans le thérapeute, voire dans l’ensemble du processus thérapeutique. Cela peut également conduire à des interventions inutiles, mobilisant des services d’urgence déjà surchargés, ce qui pourrait détourner des ressources de situations réellement critiques. Enfin, la crédibilité du praticien pourrait être sérieusement entachée, tant aux yeux du consultant que de ses pairs ou des professionnels de santé, compromettant sa capacité à établir des collaborations futures.

Ces deux scénarios, tout à fait réalistes, soulignent l’importance capitale pour l’hypnothérapeute d’effectuer une évaluation rigoureuse et nuancée, en respectant les limites de ses compétences et en adoptant une approche responsable et proportionnée. Ainsi, l’évaluation du risque suicidaire ne doit pas être interprétée comme un acte médical, mais comme une étape préliminaire destinée à détecter des signaux d’alerte tangibles, pour guider le consultant vers un professionnel de santé qualifié capable de prendre en charge la situation de manière adaptée.

Les outils tels que l’URD ou des échelles comme le BDI-II peuvent donc être utilisés à titre indicatif, à condition de bien expliquer au consultant que cette évaluation est une aide au repérage et non un acte médical. L’hypnothérapeute doit absolument s’assurer de respecter ses limites professionnelles et agir avec prudence et transparence dans le cadre de la déontologie, en veillant à ne jamais retarder une prise en charge médicale appropriée.

3.2. Les bases de l’évaluation

L’évaluation commence par un entretien clinique qui repose sur une écoute active et des questions ouvertes. Ces questions permettent de recueillir des informations essentielles pour identifier la présence ou non d’idées suicidaires, évaluer leur intensité – c’est-à-dire si elles sont vagues ou associées à un plan précis – et déterminer le niveau de danger, notamment en évaluant l’imminence d’un éventuel passage à l’acte.

Un entretien efficace ne se limite pas à poser des questions, mais vise à créer un espace de confiance dans lequel la personne se sent en sécurité pour s’exprimer. Par exemple, des formulations comme :

  • « Pouvez-vous m’expliquer ce que vous ressentez en ce moment ? »
  • « Ces pensées vous arrivent-elles souvent ? »
  • « Avez-vous réfléchi à une façon de mettre fin à votre vie ? ».

permettent d’aborder le sujet avec délicatesse et de mieux comprendre la situation sans jugement.

Contrairement à une idée reçue, poser une question directe sur le suicide ne pousse pas à l’acte. Au contraire, cela peut soulager le consultant en lui offrant un espace pour exprimer des pensées qu’il garde souvent pour lui : une question directe montre que le thérapeute prend au sérieux la détresse du consultant, ce qui aide au renforcement de l’alliance thérapeutique et à l’ouverture d’un dialogue. Ainsi, en adoptant une attitude neutre et rassurante pour permettre au consultant de répondre librement, il est tout à fait possible, pour ne pas dire recommandé, de demander avec empathie : « J’aimerais comprendre ce que vous traversez : avez-vous parfois pensé à la mort ou à vous faire du mal ? ».

Les réponses obtenues doivent être analysées en tenant compte du contexte de vie de la personne, de ses antécédents connus – notamment psychiatriques et suicidaires – et de son environnement social. Une absence d’idées suicidaires exprimées ne doit pas être interprétée comme une absence de risque – certains consultants peuvent hésiter à en parler, par peur de stigmatisation ou de jugement –.

3.3. L’outil URD : une méthode pratique pour structurer l’évaluation

Le modèle URD – Urgence, Risque, Dangerosité – est un outil simple mais efficace pour évaluer le niveau de gravité d’une crise suicidaire. Il est particulièrement utile pour structurer l’évaluation et guider les actions à entreprendre.

  1. Urgence :
    Dans cette étape, l’objectif est d’évaluer le caractère imminent du risque suicidaire. L’intensité des pensées est explorée à travers des questions spécifiques – « Avez-vous envisagé une date ou un moment précis pour mettre fin à vos jours ? », « Ces pensées se sont-elles intensifiées récemment ? », … –. La planification d’un passage à l’acte, avec des détails sur le comment et le quand, est un indicateur clé de l’urgence ;
  2. Risque :
    Ici, on cherche à identifier les facteurs prédisposants ou aggravants. Parmi les principaux facteurs de risques figurent les antécédents personnels – tentatives de suicide passées, troubles psychiatriques tels que dépression, bipolarité ou schizophrénie –, les facteurs environnementaux – isolement social, perte récente d’emploi, de proche, de relation – et les facteurs médicaux – douleurs chroniques, maladies invalidantes, etc. –. L’analyse du risque se concentre sur les vulnérabilités de long terme et les situations qui amplifient la détresse.
  3. Dangerosité :
    Enfin, il s’agit d’estimer dans quelle mesure la personne a accès aux moyens pour passer à l’acte. Par exemple possède-t-elle des objets ou substances pour mettre son plan à exécution, a-t-elle déjà pris des mesures concrètes – acheter des médicaments en grande quantité, identifier un lieu – ? Ce critère est particulièrement important, car il peut nécessiter une intervention immédiate, comme le retrait des moyens létaux disponibles.

En combinant ces trois dimensions, l’URD aide à différencier les situations nécessitant une intervention thérapeutique, une surveillance renforcée ou une action urgente – hospitalisation ou appel aux secours –.

Globalement, l’inconvénient du modèle URD est qu’il repose sur une évaluation subjective des critères, ce qui peut entraîner des erreurs si le praticien manque d’expérience ou de formation pour apprécier correctement l’urgence, le risque et la dangerosité.

Pour pallier cet inconvénient, il est essentiel de combiner l’utilisation du modèle URD – utilisé alors en première intention pour évaluer l’état psychologique global du consultant – avec des outils standardisés d’évaluation, comme le BDI-II ou la C-SSRS dont nous allons parler, et de s’appuyer sur des formations spécialisées et des consultations interprofessionnelles.

3.4. Outils d’évaluation standardisés

Outre l’URD, plusieurs autres outils validés scientifiquement permettent d’évaluer de manière très standardisée le risque suicidaire. Ces échelles complètent l’entretien clinique en offrant une mesure plus objective et comparable.

Échelle Columbia de sévérité du risque suicidaire – C-SSRS –

L’échelle Columbia – C-SSRS – est un outil centré spécifiquement sur l’évaluation des idées suicidaires. Elle explore la présence et la durée des pensées suicidaires, la planification et les intentions précises, ainsi que les tentatives passées et leurs circonstances. Cette échelle est reconnue pour son efficacité dans la détection des situations critiques et est largement utilisée dans les services psychiatriques. Elle est aussi mondialement utilisée afin de standardiser les études cliniques sur le risque suicidaire.

Inventaire de dépression de Beck – BDI-II –

Le BDI-II est une échelle composée de 21 items mesurant la gravité des symptômes dépressifs, dont les idées suicidaires. Chaque item est noté de 0 à 3, pour un score total allant de 0 à 63. Les scores sont interprétés ainsi :

  • 0-13 : dépression mineure ;
  • 14-19 : dépression légère ;
  • 20-28 : dépression modérée ;
  • 29-63 : dépression sévère associée à un risque suicidaire élevé.

Bien que le BDI-II soit avant tout une échelle de sévérité de la dépression et non une échelle d’évaluation du risque suicidaire à proprement parler puisqu’un seul item sur 21 y est relatif, il faut néanmoins ne pas négliger la réponse qui y est apportée afin de quantifier les idéations suicidaires.

De plus, si la dépression semble modérée et/ou sévère, il faut inciter la personne à consulter un psychiatre si ce n’est pas déjà le cas, car il peut avoir besoin de traitements pharmacologiques et d’un suivi psychothérapeutique.

Signalons que, pour les dépressions sévères, un suivi par un psychiatre est obligatoire, toute autre intervention devant être initiée et coordonnée par celui-ci.

Autres échelles simplifiées :

Il existe d’autres échelles, notamment simplifiées, dont les deux suivantes :

  • Patient Health Questionnaire-9 – PHQ-9 – : Comprend une question spécifique sur les pensées suicidaires dans un cadre de dépistage global de la dépression (comme le BDI-II) ;
  • Suicide Behaviors Questionnaire-Revised – SBQ-R – : Évalue les comportements suicidaires passés et actuels sur quatre dimensions simples (n’existe pas a priori en traduction française).

3.5. Synthèse de l’évaluation

Étapes pratiques pour une évaluation complète :

  1. Entretien clinique : écouter activement, poser des questions ouvertes pour évaluer la présence, l’intensité et l’imminence des idées suicidaires ;
  2. Utiliser l’URD : structurer l’analyse autour des critères Urgence / Risque / Dangerosité ;
  3. Confirmer par une échelle standardisée : utiliser des outils plus formels comme la C-SSRS ou le BDI-II (dont, rappelons-le, ce n’est pas la vocation première) pour confirmer les observations cliniques.

L’évaluation du risque suicidaire est une démarche multidimensionnelle, intégrant des outils pratiques et une approche empathique. Elle constitue une étape clé pour prévenir le passage à l’acte et orienter la personne vers des soins appropriés, qu’ils soient thérapeutiques ou d’urgence.

4. Approches en hypnothérapie selon le niveau de danger

L’hypnothérapie peut jouer un rôle complémentaire précieux dans l’accompagnement des personnes exprimant des idées suicidaires, mais les approches doivent être adaptées au niveau de danger identifié. Que les idées suicidaires soient passives, modérées et non planifiées, associées à une intention claire, ou marquent une crise imminente, l’intervention de l’hypnothérapeute doit rester dans le cadre de ses compétences et respecter les principes de précaution et de collaboration interdisciplinaire, tout en sachant parler non plus simplement d’esprit à esprit mais de cœur à cœur avec son consultant. Si en temps normal, l’empathie est à privilégier, en cas de crise suicidaire la compassion ou la sympathie peuvent être pleinement justifiées. Il est essentiel avant tout que le consultant se sente véritablement compris et que ses émotions soient reconnues et validées.

4.1. Idées modérées et non planifiées

Lorsque les idées suicidaires sont passives7, vagues, passagères ou exprimées comme une simple envie de « ne plus exister », l’hypnothérapie peut être un levier efficace pour atténuer la souffrance psychologique et renforcer les ressources internes du consultant. Dans ces situations, il est utile de travailler sur l’estime de soi, souvent affaiblie chez les personnes en détresse. À travers des visualisations hypnotiques, le consultant peut être guidé pour revisiter des moments de succès ou se projeter dans un futur où il surmonte ses difficultés. Ces exercices permettent de réactiver des sensations de fierté, de compétence, d’auto-efficacité et d’espoir, en contrebalançant les pensées négatives.

Par ailleurs, l’hypnose peut aider à apaiser les émotions intenses souvent à l’origine de ces idées vagues. En utilisant des techniques de relaxation profonde, de respiration consciente ou de visualisation d’un lieu sécurisant, le consultant peut apprendre à mieux gérer son anxiété ou son désespoir et à entrevoir des alternatives au suicide. Ces exercices, en favorisant une régulation émotionnelle, agissent comme un espace de répit pour permettre au consultant de retrouver un certain équilibre. Enfin, un travail de reprogrammation des croyances négatives peut également être entrepris. Les pensées automatiques comme « Je suis un fardeau » ou « Ma vie n’a pas de sens » peuvent être abordées sous hypnose pour les transformer en affirmations plus positives et constructives. Ce type de restructuration cognitive, soutenu par des suggestions adaptées, peut être une base pour redonner du sens et de la perspective.

4.2. Idées fortes et planifiées

Lorsque les idées suicidaires sont associées à une intention claire, le rôle de l’hypnothérapeute devient celui d’un accompagnateur vigilant. La priorité est d’établir un dialogue empathique, en permettant au consultant d’exprimer ses pensées sans crainte de jugement. Cette approche non-directive favorise une confiance essentielle et peut aider à réduire l’isolement émotionnel souvent ressenti par les personnes dans cette situation. L’écoute active permet également d’évaluer la gravité des idées exprimées et de détecter des signaux d’alerte supplémentaires, comme la présence d’un plan précis ou la fixation sur une date.

Cependant, dans ces cas, l’intervention hypnotique elle-même doit être suspendue ou limitée à des techniques de gestion du stress, uniquement si le consultant le souhaite. L’hypnothérapeute doit avant tout orienter la personne vers des professionnels de santé qualifiés, comme un psychiatre ou un psychologue, capables de gérer ce niveau de danger. Il est également essentiel de fournir des ressources adaptées, comme le 3114, la ligne nationale de prévention du suicide disponible 24/24h 7/7j en France. L’hypnothérapeute peut proposer de composer ce numéro avec le consultant, en sa présence, pour initier un dialogue avec un professionnel formé aux crises suicidaires. Cette étape montre une implication active sans empiéter sur les prérogatives des professions médicales. Le 3114 est spécialisé dans l’évaluation du risque suicidaire et peut, si nécessaire, orienter vers les urgences ou mobiliser directement les secours pour intervenir sur place.

4.3. Crise suicidaire imminente

Dans une situation où le passage à l’acte est jugé imminent, la priorité absolue est d’assurer la sécurité du consultant. Ici, toute intervention hypnotique est bien évidemment à exclure : l’urgence prime, et l’hypnothérapeute doit adopter une posture de soutien immédiat. Il est alors impératif d’appeler les secours dès que possible, en contactant le 15 – Samu – ou le 112 – numéro européen d’urgence –8. Ce contact doit être fait en présence du consultant, si possible, afin de maintenir un climat de transparence et de confiance.

L’hypnothérapeute doit également rester auprès de la personne jusqu’à ce qu’un professionnel prenne le relais. Cela peut impliquer de continuer à dialoguer pour apaiser la tension ou simplement d’être présent physiquement, afin d’éviter que la personne ne s’isole ou ne quitte l’espace sécurisé. Pendant ce temps, il est important de garder un ton calme et rassurant, en répétant des messages comme : « Vous n’êtes pas seul, et je suis là pour vous aider à traverser cela » ou « Je comprends votre souffrance actuelle ».

Il est à ce stade possible, pour ne pas dire recommandé d’appeler en complément le 3114 en présence du consultant, afin de lui permettre de dialoguer avec un professionnel formé aux crises suicidaires en attendant l’arrivée des secours déjà mobilisés.

Enfin, il est essentiel de documenter toutes les actions entreprises, tant pour assurer un suivi cohérent que pour se protéger légalement. Cette documentation doit inclure les observations faites, les numéros d’urgence contactés, et toute communication établie avec des tiers, comme des proches ou des professionnels de santé. Une telle rigueur garantit que le consultant bénéficiera d’un soutien adapté et que l’intervention de l’hypnothérapeute respecte les cadres éthiques et légaux en vigueur.

5. Synthèse des actions à réaliser selon le cas

Crédit : © PSYRALLIANCE SASU

6. Focus : le 3114, ligne nationale de prévention du suicide – 24h/24 –

Le 3114 est la ligne nationale de prévention du suicide en France, accessible 24/24h et 7/7j, destinée à toute personne confrontée à une crise psychologique ou des pensées suicidaires. Ce service s’adresse non seulement aux personnes en détresse, mais aussi à leurs proches, aux professionnels de santé et à toute personne préoccupée par le risque suicidaire d’un tiers.

Le 3114 est conçu pour offrir une écoute empathique et professionnelle, réalisée par des soignants formés – psychologues, psychiatres ou infirmiers –, capables d’évaluer la situation, d’apporter un soutien immédiat et de proposer des solutions adaptées à chaque cas. Cette ligne joue un rôle essentiel dans la prévention des crises suicidaires en offrant une intervention précoce et adaptée.

Les intervenants du 3114 peuvent guider la personne vers des services locaux de soins en santé mentale, coordonner une prise en charge médicale si nécessaire, ou déclencher les structures d’urgence en cas de danger imminent. Leur expertise permet également de désamorcer des situations critiques grâce à un dialogue rassurant et des conseils personnalisés.

Le 3114 n’est pas qu’un simple service d’écoute : il est une passerelle vers un réseau de professionnels et de dispositifs spécialisés, conçu pour répondre efficacement à toutes les étapes du processus suicidaire.

7. Formations accessibles aux non-professionnels de santé

Faire face à une situation de crise suicidaire est une expérience délicate et émotionnellement exigeante, particulièrement pour les praticiens en cabinet qui ne sont pas issus du milieu médical. Pourtant, il existe des formations conçues pour apporter des outils concrets et une posture adaptée, accessibles même aux non-professionnels de santé.

Ces programmes, en présentiel ou en ligne, permettent de mieux repérer les signes d’alerte, de poser les bonnes questions et de savoir orienter efficacement vers des structures compétentes. Se former à la prévention du risque suicidaire, c’est non seulement protéger ses consultants, mais aussi sécuriser sa propre pratique dans des contextes parfois complexes.

Voici une sélection de formations disponibles :

  • Formation Sentinelles : destinée aux citoyens et professionnels non cliniciens, cette formation de 7 heures vise à renforcer les compétences pour repérer et appréhender la souffrance psychologique et la problématique suicidaire au sein de sa communauté ;
  • Programme safeTALK : formation reconnue internationalement, safeTALK enseigne à identifier les personnes en détresse, à engager un dialogue et à les connecter avec des ressources adaptées. Accessible au grand public, y compris aux non-professionnels de santé ;
  • Programme ASIST (Applied Suicide Intervention Skills Training) : formation approfondie sur deux jours, ASIST couvre les aspects pratiques de l’intervention en cas de crise suicidaire, incluant l’écoute active et l’orientation vers des ressources appropriées. Ouvert à toute personne, sans exigence préalable de formation en santé ;
  • MOOC ‘Comprendre le suicide pour mieux prévenir’ : accessible à tous, ce cours en ligne gratuit offre une base théorique sur les facteurs de risque, les signes d’alerte et les bonnes pratiques pour réagir face au risque suicidaire. Idéal pour les intervenants non-professionnels de santé souhaitant une introduction structurée ;
  • Formations proposées par des associations spécialisées : des associations comme SOS Amitié ou France Prévention Suicide organisent régulièrement des conférences, formations et ateliers ouverts à tous, visant à sensibiliser et fournir des outils d’intervention en cas de crise suicidaire.

Ces formations offrent des outils pratiques pour mieux comprendre, gérer et orienter en cas de risque suicidaire, contribuant ainsi à une meilleure prévention au sein de la communauté.

8. Conclusion : protéger et accompagner avec discernement

L’hypnothérapie, en tant qu’approche complémentaire, peut être une ressource précieuse pour les personnes traversant des périodes de détresse psychologique. Son cadre bienveillant et personnalisé permet de renforcer les ressources internes du consultant, d’apaiser les émotions intenses et de reprogrammer des pensées limitantes. Cependant, face à des idées suicidaires, cette pratique exige une vigilance accrue. L’hypnothérapeute doit être conscient de ses limites professionnelles et agir dans le respect des cadres déontologiques, en évitant tout risque d’empiéter sur les prérogatives des professionnels de santé. Cette prudence est essentielle pour garantir la sécurité du consultant tout en offrant un accompagnement de qualité.

La gestion des idées suicidaires ne peut se faire en isolation. Elle nécessite une collaboration interdisciplinaire avec des psychiatres, psychologues, et autres professionnels de santé, afin d’assurer une prise en charge globale et adaptée. L’hypnothérapeute peut jouer un rôle clé en identifiant les signaux d’alerte, en soutenant les consultants dans leurs démarches de soin et en facilitant leur accès à des services spécialisés. En agissant comme un maillon dans la chaîne de soutien, il contribue à une approche coordonnée, essentielle pour prévenir le passage à l’acte. Ce travail d’équipe ne se limite pas à orienter : il s’agit aussi de maintenir un suivi empathique, en assurant au consultant qu’il est accompagné tout au long de son parcours.

Enfin, il est crucial de reconnaître que l’hypnothérapie, bien qu’elle ne remplace pas les soins psychiatriques, peut contribuer à prévenir la rechute et à restaurer un sentiment de maîtrise dans la vie du consultant. À travers des interventions ciblées et bienveillantes, elle aide à reconstruire des mécanismes de résilience et à réactiver des perspectives d’espoir. Dans une approche humaniste, le rôle de l’hypnothérapeute est avant tout de créer un espace sécurisé où chaque personne, même en situation de vulnérabilité extrême, peut trouver des ressources pour avancer. C’est dans cet équilibre entre prudence, responsabilité et soutien que l’hypnothérapie révèle tout son potentiel.

  1. Il ne faut pas négliger malgré tout la prise de substances psychoactives et drogues, de médicaments psychotropes, voire de médicaments non-psychiatriques pouvant causer de graves effets secondaires ↩︎
  2. Acte impulsif : action soudaine et non préméditée, déclenchée par une émotion intense ou un besoin irrépressible, souvent accompli sans considération des conséquences à long terme. ↩︎
  3. L’épigénétique joue également un rôle important dans les facteurs de risque et de protection en matière de santé mentale et peut influencer la susceptibilité d’une personne aux idées suicidaires. ↩︎
  4. Un antécédent de tentative de suicide est le facteur prédictif le plus puissant : une personne ayant déjà tenté de se suicider présente un risque nettement accru de récidive, avec un danger maximal dans les mois suivant la tentative. ↩︎
  5. Les troubles psychiatriques augmentent considérablement le risque de passage à l’acte, surtout lorsqu’ils sont combinés à d’autres facteurs comme un isolement social ou un stress intense. ↩︎
  6. Rappelons qu’en France la profession d’hypnothérapeute n’est pas réglementée et qu’il ne s’agit pas d’une profession de santé encadrée par le Code de la santé publique. Heureusement, plusieurs syndicats et de nombreuses associations et écoles de formation en hypnothérapie se dotent de chartes éthiques et déontologiques pour encadrer la pratique de leurs membres et garantir un standard professionnel. ↩︎
  7. Les idées suicidaires passives se manifestent par le souhait de ne plus vivre ou de disparaître, sans intention ni plan d’action précis. En revanche, les idées suicidaires actives impliquent une volonté claire de mettre fin à ses jours, souvent accompagnée de la planification des moyens pour y parvenir. ↩︎
  8. Le 3114 n’est pas un numéro d’urgence à proprement parler, mais il est conçu pour l’écoute, l’évaluation et l’orientation, et peut aussi coordonner une intervention d’urgence immédiate. Il peut également révéler toute son utilité afin d’épauler le thérapeute avant l’arrivée des secours. ↩︎

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